Les réseaux sociaux : un nouvel outil de revendications politique et sociétale
A la découverte du « mouvement social » et du « groupe de pression »
Les réseaux sociaux sont une composante à part entière de notre monde ; des revendications naissent de leur utilisation. La question que nous nous posons dans cet article est la suivante : quel est le rôle que jouent les réseaux sociaux dans la diffusion et l’organisation des actes revendicatifs ? Pour ce faire, nous proposons d’expliquer deux notions importantes.
D’un côté, le mouvement social : concept né au XXème siècle (grâce aux chercheurs de la première école de Chicago, USA) qui désigne une action collective portée par un groupe qui cherche à changer le monde dans lequel il vit. La cible des revendications peut être le comportement de la société́ ou encore les institutions. Selon le sociologue Alain Touraine (1965), le mouvement social possède trois caractéristiques :
- le groupe,
- les revendications contre une cible,
- une capacité à se mobiliser.
En France, le premier mouvement social que l’on a pu observer est né en 1789, lors de la Révolution Française : le tiers état contre la bourgeoisie.
Pour Karl Marx (1848), le mouvement social est le résultat de l’affrontement entre deux classes : la classe dominée qui cherche à s’émanciper de la classe dominante.
Cependant, avec les années, la notion de classe semble disparaitre. La société occidentale se transforme (Ronald Inglehart, 1977). Tout en gardant l’idée de dimension collective, les revendications s’organisent désormais en groupe de pression. Cette notion induit pour la première fois l’idée d’influence.
Le groupe de pression, appelé « lobby » désigne « l’antichambre » en anglais. La théorisation de ce concept arrive en France dans les années 1950 et nous vient des USA. Le groupe de pression désigne un groupe qui ne recherche pas directement à changer les choses, le monde dans lequel il vit, mais plutôt à influencer et faire valoir ses intérêts auprès des pouvoirs publics.
Le groupe de pression obéit à deux caractéristiques :
- il défend les intérêts particuliers de ses membres (Hélène Michel, 2009),
- il exerce une réelle pression sur la prise de décision publique (Emiliano Grossman, 2005).
On dit qu’il est plus structuré qu’un mouvement social.
De l’union cachée à l’hyper-connectivité
Avant, revendiquer ses droits et ses souhaits devait être fait en cachette et était mal vu de l’opinion publique ; aujourd’hui, la toile nous réunit tous en un clic et nous permet d’user en toute simplicité de notre liberté d’expression.
Grâce à de nombreux algorithmes, il est devenu facile de constituer un groupe, d’énoncer clairement ses revendications et d’arriver à se mobiliser un même jour, au même endroit et au même moment.
Grâce aux réseaux sociaux, la création de mouvements sociaux et la bonne communication au sein de ces groupes sont devenues possibles pour tous, et partout.
En 2004, J.A. Barnes définit le réseau social comme une structure sociale faite de nœuds qui sont généralement des individus et des organisations. Il représente des flux et des relations entre les gens.
On parle de « réseaux sociaux » depuis 1998, en tant que réseaux communautaires dédiés à la rencontre et l’échange pour des communautés spécifiques. D’abord peu utilisés et peu connus, les réseaux sociaux sont aujourd’hui nombreux, et leurs utilisateurs le sont encore plus.
Parlons peu, parlons chiffres
Thomas Derache, planeur stratégique dans l’agence OP1C, a accepté de partager son travail de veille et ses connaissances sur les tendances liées aux réseaux sociaux. Il fournit ces chiffres :
- en moyenne, un français passe 1h et 20 minutes chaque jour sur les réseaux sociaux ;
- en moyenne, 42% des français regardent une vidéo par jour sur les réseaux sociaux.
Et surtout, on compte 35 millions de Français actifs sur Facebook.
Réseau, mon beau réseau, à quoi me sers-tu ?
Aujourd’hui, un réseau social c’est :
- un agenda personnel,
- une communauté à l’écoute et active,
- un outil de communication,
- un album photos géant
- et un média d’informations
Tant de fonctionnalités qui ont contribué à la création de nouveaux mouvements sociaux, de nouvelles revendications et surtout, à de nouvelles façons de manifester, de se manifester.
Illustrons nos propos, parlons gilets jaunes
Né sur Facebook en Octobre 2018, le mouvement social des « Gilets Jaunes » a fait écho à la décision du gouvernement français d’augmenter la Taxe Intérieur de Consommation des Produits Énergétiques (TIPCE).
Tout commence par la mise en ligne d’une vidéo par Jacline Moureaux, une citoyenne française dénonçant cette taxe. Cette vidéo sera vue plus de 6 millions de fois en un très court laps de temps. Et dans son sillage, elle entraînera d’autres personnes à faire de même et à lancer un appel à manifester et à se rassembler dans les rues. Facebook étant une plateforme de diffusion, il a permis à Jacline Moureaux et à d’autres internautes français d’avoir l’opportunité́ de prendre la parole.
La viralité́ des réseaux sociaux (Boullier 2012) contribue grandement à transformer cette « simple vidéo » en une référence pour des millions de personnes qui vont l’imiter ; jusqu’à déclencher l’effet « boule de neige », qui laissera place à de nouvelles revendications au cœur de l’actualité, de nouveaux contenus et surtout, la création de débats directement sur Facebook. Le mouvement social des Gilets Jaunes est né en même temps qu’un nouveau média d’informations, le format Live de Facebook, en rupture avec les formats traditionnels de communication.
Très vite, des évènements vont être créés sur Facebook, dans le but de rassembler le plus de manifestants possibles dans les rues afin de se faire entendre et devenir un groupe de pression. Et c’est comme ça que les Actes 1, 2, 3 (…) 49 sont nés.
Enfin, ce cheminement a permis l’immersion de nouveaux mouvements sociaux crées en réponse ou en réaction à celui-ci : les Gilets Verts (manifestants pour une meilleure application de l’écologie en France), les Foulards Rouges (groupe luttant contre les dérives des Gilets Jaunes).
Les réseaux sociaux, et surtout Facebook, prouvent qu’à l’heure actuelle, un mouvement social n’a plus besoin d’une manifestation physique de départ pour naître et prendre de l’ampleur. La création de groupe sur la toile et la notion de communauté sont le point de départ d’une interaction constante avec d’autres membres (Rémi Guertin, 2018).
Un mouvement bien né, qui traverse réellement le temps ?
Partons du principe que chaque élément posté sur internet est par définition, in-oubli-able : il sera toujours possible de retrouver une trace de celui-ci, même après maintes suppressions.
En plus d’avoir largement contribué à la création de nouveaux mouvements, les réseaux sociaux aident aussi à traverser le temps sans prendre une ride. Comment ? En s’octroyant la légitimité de devenir un nouveau média d’informations.
C’est sur cette base que les français ont pu constater un écart des réalités entre les reportages des chaînes d’informations de la télévision et les vidéos amateurs publiées sur les réseaux sociaux dans le but de contrer ces informations. Et c’est comme ça qu’une liste spéciale « Jaune » a vu le jour, à l’occasion des élections européennes (mai 2019) « Alliance Jaune » (0.6% des suffrages).
Les réseaux sociaux seraient donc magiques ?
Oui les réseaux sociaux rassemblent, et même à très grande échelle. Mais ce n’est pas de la magie, ce sont des mathématiques !
Facebook, comme les autres réseaux sociaux, possède un puissant algorithme qui permet à l’utilisateur de générer du contenu auprès des individus qui expriment les mêmes revendications que lui (= le même profil). Et en retour, lui permet d’avoir accès à du contenu généré par les mêmes profils que lui.
Et c’est ainsi qu’un contenu peut devenir viral : les membres d’un groupe ayant les mêmes objectifs et les mêmes façons de penser vont tous voir le même contenu qui correspond à leur profil : succès garanti.
Les Gilets Jaunes semblent résulter d’un mélange aux frontières floues entre mouvement social et groupe de pression : très organisé et clair dans ses revendications mais pas assez influent pour changer les décisions prises par les pouvoirs publics. Un an après, ces voix crient encore les rues à la recherche d’une oreille qui les écoutera, qui les comprendra.
Même si les utilisateurs voient dans les réseaux sociaux un nouvel espace de débat et de revendications citoyennes, nous nous demandons jusqu’où iront ces voix dans l’espoir de devenir enfin un groupe de pression accompli et entendu ?
(Article inspiré par le mémoire de recherche de Clément Montecchio, promo 26, ISTC)
Short Paper rédigé par Valentine Lemor et Rémi Chenu
La Capsule Académique